Interview de la femme de Mohammad Moradi

AP Photo/Nicolas Vaux-Montagny

Lundi 26 décembre, Mohammad Moradi, un étudiant iranien de 38 ans, s’est jeté dans le Rhône à Lyon, pour attirer l’attention sur la révolution qui se passe en Iran depuis plusieurs mois.

Nous avons interviewé sa femme, Zara Jam. Elle n’est pas de bonne humeur, elle est à l’hôpital psychiatrique de Saint Jean de Dieu, à Lyon et doit aller chercher le cercueil de son défunt mari, Mohammad Moradi.

Ces scènes surréalistes sont la situation d’une femme qui rêvait autrefois de réaliser ses rêves, main dans la main avec son mari. Elle a dit adieu à sa triste terre, l’Iran, et est entrée dans la France libre. Le chagrin de la patrie ne peut être atténué pour aucun immigré et il semble que le chagrin de Mohammad ait été encore plus lourd à supporter. Cette peine insupportable a poussé Mohammad à utiliser le moyen le plus expressif possible, c’est-à-dire sa vie, pour être le plaidoyer d’une nation qui est en conflit avec un gouvernement barbare depuis près d’un demi-siècle. Un gouvernement qui n’a pas le sens de l’humanité et de la liberté.

Mohammad Moradi, 38 ans, un spécialiste de l’histoire, s’est jeté dans le Rhône le 26 décembre 2022, pour protester contre ce qu’il croyait être “l’indifférence” du monde face au meurtre violent commis par le gouvernement et face à la répression des manifestants en Iran. Avant de se suicider, il a publié une vidéo sur les réseaux sociaux et a déclaré que bien qu’il ait une belle vie à Lyon, il ne peut pas fermer les yeux sur ce qui se passe en Iran. Il a dit :

Je sacrifie ma vie un millier de fois pour l’Iran et le peuple iranien. Ne soyez pas triste, soyez heureux car le jour de la victoire est proche.”

Nous avons eu une conversation avec sa femme en deuil, Zara Jam, traductrice et rédactrice en chef et épouse de Mohammad Moradi, qui, bien que l’amertume du chagrin dans chaque mot, a patiemment répondu à nos questions.

  • Pouvez-vous nous parler un peu plus de vous et de Mohammad ?

Moi, c’est Zara. J’ai 36 ans et on s’est mariés il y a 12 ans avec Mohammad. On vit à Lyon depuis avril 2019. Mohammad avait une personnalité calme et patiente. Intellectuellement, il était très indépendant et n’était pas enclin à une tendance particulière. Son activité était principalement d’informer l’opinion publique. Mohammad était devenu très impatient et sensible au cours du dernier mois. Il n’arrêtait pas de répéter qu’il souhaitait pouvoir faire quelque chose. Parce que l’indifférence de l’Occident à ce qui se passait en Iran à cause du viol, de la torture et du meurtre lui était indigeste, et à la fin, malheureusement, il a commis cette action douloureuse pour attirer l’attention du monde sur  les problèmes misérables de l’Iran ces jours-ci.

  • A votre avis, que peut-on faire pour que le mouvement de Mohammad Moradi et que sa vie qui a été dépensée pour le bien de la patrie et pour la révolution du peuple iranien, ne soit pas sans valeur et amène cette révolution à une conclusion rapide ?

Lorsque l’empathie atteint le point où vous et moi devenons nous et que nous nous dirigeons tous vers un objectif commun, c’est alors que les vies perdues ne seront pas gâchées.

  • Parlez-moi de ce que Mohammad Moradi a fait depuis le début du soulèvement révolutionnaire du peuple iranien jusqu’à son suicide.

Il a toujours dit qu’il fallait faire quelque chose de grand. Il a même décidé de retourner en Iran et de participer à la révolution. Mais finalement, il a choisi ce geste pour que tout le monde sache qu’une personne comme Mohammad peut avoir une belle vie en dehors des frontières, mais il est toujours un patriote et comme il l’a dit, il sacrifie sa vie pour l’Iran et les Iraniens des milliers de fois.

  • Quel retour avez-vous reçu sur ce suicide autre que le peuple d’Iran ?

Les gens n’ont pas réagi autrement que par respect et condoléances.

  • Pensez-vous que ce soulèvement révolutionnaire réussira ?

Cette révolution dépend du peuple lui-même, à leur unité et à leur patience. Parce que je crois que le dictateur est sur la pente descendante et c’est nous qui allons augmenter la pente descendante.

  • Quel était l’objectif et le but de Mohammad Moradi avec cet acte ?

Entre ne pas vivre et vivre, Mohammad a choisi de ne pas vivre. Il n’est pas nécessaire de faire ce qu’il a fait. C’est une mort auto-infligée dans le but d’attirer l’attention de la communauté mondiale sur les tueries dans les rues et les prisons d’Iran. Mohammad était plein de passion pour la vie et cherchait toujours de petites excuses de bonheur. Cet acte de Mohammad n’était pas une épine dans la vie.

Un grand rassemblement des Iraniens de France aura lieu ce dimanche 8 janvier à Lyon, à partir de 13 heures, en mémoire de Mohammad Moradi. Zara Jam espère que de nombreuses personnes descendront dans les rues de Lyon dimanche pour accroître l’attention de la communauté mondiale sur l’Iran et notamment sur la situation des prisonniers politiques qui s’y trouvent.

Propos recueillis par le groupe Artémis.
Photo de Une : le Progrès / Maxime JEGAT