Média Citoyen aujourd’hui

Le vingtième siècle a vu la communication audiovisuelle supplanter la communication écrite qui dominait la sphère informationnelle depuis bien longtemps1. Les évolutions technologiques dans le domaine du numérique et de la mise en réseaux des données sont en train de dessiner un nouveau modèle de médias pour le XXIe siècle

Qu’il soit radiophonique, télévisuel, écrit ou autre, le média citoyen est tout d’abord un média et, en tant que tel il produit des contenus informationnels, culturels, de divertissement etc. Il est citoyen parce qu’il assume pleinement le rôle sociétal que son statut lui impose. Citoyen encore parce qu’il établit de ce fait une relation particulière avec son public-acteur.
Ce qui caractérise toutefois le mieux un média citoyen est son originalité. Chaque projet est spécifique et se construit en adéquation avec son objet, son territoire, les acteurs qu’ils rassemble. Le manque de cadre légal et financier de la majeure partie du secteur est aussi jusqu’alors le premier moteur d’une remarquable créativité.
Pour l’audiovisuel, seule une structure collective existe regroupant une trentaine de télévisions : la Fédération des Vidéos des Pays et des Quartiers qui développe la notion d’audiovisuel participatif. Cette notion tient son modèle du développement au cours des années 1980 des « télés brouettes » dont l’exemple le plus connu est Télé Mille Vaches qui anime le plateau et le parc naturel du même nom depuis 1986.
En parallèle, et depuis la démocratisation et la numérisation des techniques, de nombreux autres médias audiovisuels se développent. Quelques-uns se sont même imposés dans le paysage médiatique comme Zaléa TV, Télé Bocal ou la Télé Libre. Mais très peu en regard du nombre d’expériences naissantes dans les territoires. Parmi elles, on peut distinguer des médias audiovisuels locaux d’informations, des télévisions thématiques, des structures de communication sociale audiovisuelle…
Dans la presse écrite, quelques titres continuent à publier sur support papier, localement ou nationalement. Certains bénéficient d’une renommée qui leur permet de fonctionner dans les mêmes cadres que la presse « commerciale » : Fakir, La Décroissance, Silence, le RAVI en Provence Alpes Côté d’Azur… Tous les titres « papier » sont aujourd’hui présents aussi sur internet. Mais devant les coûts d’impression, de plus en plus de titres se créent uniquement sur le web, d’autres transforment leurs éditions « papier » en site d’information sur internet (« pure player ») ou trouvent des modèles hybrides…
En termes de diffusion, ces deux secteurs ont dû jusqu’alors faire preuve d’une grande créativité : la télé brouette et les projections publiques pour la télévision, venant consolider les processus de fabrication de lien social, la distribution alternative pour les médias papier, par dépôt dans les établissements locaux, par distribution coopérative dans les réseaux (L’âge de Faire par exemple)… Internet est venu donner une fenêtre de diffusion opportune à tous ces médias qui s’en sont désormais saisis.
Ainsi l’avenir numérique « multi-media » semble incontournable dans les années à venir – un large consensus semble animer à ce sujet l’ensemble des observateurs du secteur.
Il convient donc bien d’appréhender cette convergence numérique dans un schéma prônant la complémentarité des modes de diffusion plutôt qu’en opposition entre tradition et modernité. Car il est vrai qu’internet a fait émerger de nouveaux acteurs et de nouveaux médias dans les paysages citoyens de nos territoires. Acteurs de l’innovation numérique et sociale, de l’internet accompagné, du développement territorial… Nouveaux médias aussi, nés des possibilités techniques nouvelles, sans attache à l’histoire finalement bien méconnue des médias associatifs en France, mais répondant tout autant à des besoins exprimés par la société civile.
Parallèlement, des mouvements de fond sont en voie de structurer différemment la pensée et l’action sociales. La mise en avant ces dernières années, d’une économie sociale et solidaire donne au « tiers secteur » associatif une légitimité nouvelle et permet de mieux définir le rôle et le fonctionnement des médias citoyens. Par ailleurs, les thématiques portées depuis leurs origines par ces médias ne peuvent plus aujourd’hui être ignorées : l’écologie, la solidarité, la culture locale, la participation citoyenne, l’éducation populaire… Autour de ces thématiques se structurent les mouvements sociaux de cette génération nouvelle, dotée grâce au numérique d’outils plus performants qui eussent fait rêver plus d’un militant du Larzac ou de Fessenheim en 1977.
Cette nouvelle génération « 2.0 » apporte un franc renouveau dans les processus de participation citoyenne et d’éducation populaire. Le concept collaboratif a largement prouvé son efficacité, du développement de logiciels ou d’encyclopédies libres à la création des « fab lab ». La maîtrise du mode « viral » de diffusion sur internet est par ailleurs un atout dans la capacité de chaque média à fabriquer son public. Autant de processus nouveaux venant idéalement compléter le panel mis en œuvre par les médias associatifs depuis les années 1980, allant de la fabrique amateure-bénévole des contenus à l’intervention du média dans les dispositifs éducationnels d’une MJC ou d’un collège en passant par l’organisation d’émissions ultra-participatives. Dans ce nouvel horizon, la rencontre de la tradition et de la modernité multiplie les possibles et réinstitue l’imagination créatrice comme maître d’œuvre d’un avenir à créer.
Le schéma idéal pour des médias citoyens du 21ème siècle se situe certainement dans ces contours d’une rencontre entre médias traditionnels et monde du numérique et d’une complémentarité à travailler au service des territoires. La mise en cohérence de l’ensemble des capacités de production et de diffusion des médias citoyens pourrait offrir à chaque commune, à chaque pays11 un véritable dispositif dynamique d’intelligence collective reliant tous les acteurs locaux. Schéma mettant en œuvre la production et la diffusion d’informations, l’archivage et la mise à disposition des contenus, et à travers ces outils, une véritable dynamique de valorisation territoriale où la mémoire, les paroles, les récits des citoyens participeraient à la construction symbolique de leurs territoires.
L’univers numérique leur offre aujourd’hui l’opportunité de cette convergence et ouvre de nouveaux horizons à leur créativité. Cette créativité qui les impose naturellement partout où ils se développent depuis plus de trente ans maintenant. Cette capacité à innover, à inventer brisa le monopole d’État pour les radios libres en 1981. Aujourd’hui le développement des logiciels libres est en mesure de concurrencer les produits de Microsoft, les structures de l’économie sociale et solidaire affirment leur viabilité là où échouent les multinationales. Le multimédia révolutionne les manières d’appréhender la production et la diffusion d’informations, l’avenir des médias citoyens est une toile encore vierge où tout reste à imaginer.

Thierry Borde est animateur, fondateur du réseau MédiasCitoyens

Article original publié sur http://sens-public.org